CHAPITRE 20

Une intense odeur de feu flotte dans l’air, et je remarque que la cheminée installée sur le mur du fond est bourrée de morceaux de bois partiellement brûlés, surmontés de nuages de cendre grise presque blanche, aussi délicate que des toiles d’araignée superposées. Un matériau qui se consume proprement, peut-être un tissu de coton ou un papier coûteux renfermant peu de pulpe de bois.

Le feu a été lancé avec le conduit fermé. L’hypothèse veut que ce soit Fielding, mais personne ne sait au juste pourquoi il aurait fait cela, à moins d’être complètement fou ou d’espérer que sa Petite Boutique des horreurs brûlerait jusqu’à la dernière pierre. En tout cas, si telle était son intention, il ne s’y est pas pris de la façon adéquate. Je note la présence d’un bidon d’essence dans un coin, d’autres bidons de diluant à peinture, de chiffons et d’amas de bois, moyens de déclencher facilement un incendie. L’usage de la cheminée dans ce but n’a aucun sens, à moins qu’il n’ait eu le cerveau vraiment dérangé ou qu’il ait essayé de se débarrasser de quelque chose, de détruire des indices, plutôt que de mettre le feu au bâtiment. Lui ou une autre personne.

L’éclairage provisoire basse tension, baladeuses suspendues à des crochets ou projecteurs montés sur des perches, aux ampoules protégées par des grilles, projette une lumière crue et irrégulière. Je découvre un vieil établi de bois éraflé, constellé d’éclaboussures de peinture, jonché d’outils : pinces, forets, pinceaux, godets en plastique emplis de clous à parquet en L et de vis, une perceuse électrique équipée d’accessoires de vissage, une scie circulaire, une ponceuse électrique à bande et un tour sur un support métallique. Des copeaux de métal, pour certains très brillants, ainsi que de la sciure couvrent l’établi et le sol de béton. Tout est dégoûtant, rouillé. Rien ne protège l’investissement immobilier de Fielding des intempéries et de l’air marin, sinon du plastique épais et du contre-plaqué agrafé et cloué de façon à occulter les fenêtres. De l’autre côté de la pièce une deuxième porte est grande ouverte, et j’entends l’écho de voix et de sons divers monter de l’escalier qui permet d’accéder à la cave.

Je jette un regard autour de moi, me remémorant ce que j’ai découvert au microscope. Si je pouvais agrandir des échantillons de l’atelier de Fielding, je parie que je trouverais un tas de saletés composé de rouille, de poussière, de fibres, de moisissures et de débris d’insectes. Je demande à Marino :

— Qu’avez-vous collecté ici ?

— Eh ben, il est évident que certains des copeaux de métal sont récents : super-brillants, ils ont pas eu le temps de rouiller. On a donc fait des prélèvements qui sont partis au labo pour déterminer au microscope si ça ressemble à ce que vous avez trouvé dans le corps d’Eli Saltz.

Je lui rappelle pour la énième fois que le nom de famille de la victime n’est pas Saltz, mais Goldman.

— Pour comparer les marques d’outils, vous voyez, fait-il. Encore qu’on ait pas beaucoup de doutes sur ce qu’a fait Fielding, vu qu’on a trouvé la boîte.

Marino fait référence à la mallette contenant le couteau guêpe et poursuit :

— Deux cartouches de gaz carbonique utilisées, deux manches supplémentaires et même le mode d’emploi, tout le bazar ! D’après l’entreprise qui le fabrique, Jack a acheté ça y a deux ans. Peut-être pour sa plongée sous-marine, fait-il en haussant ses larges épaules dans sa grande combinaison jaune. Sauf qu’il l’aurait pas commandé à cette époque-là pour tuer Eli, ça, c’est sûr. Y a deux ans, Jack résidait à Chicago. Pourquoi qu’il aurait eu besoin d’un couteau guêpe, je vous demande ?

Marino fait les cent pas dans ses grandes bottes vertes et ne cesse de jeter des regards en direction de l’escalier qui mène au sous-sol, à l’évidence curieux de ce qui se dit ou fait en bas. Il conclut :

— Dans les Grands Lacs, le seul truc capable de vous tuer, c’est la quantité de mercure dans les poissons.

— Tout cela est parti chez nous ? Nous avons la mallette et les deux cartouches de gaz ? Tout ?

Je veux savoir à quels labos ils ont été adressés. Je veux m’assurer que Briggs n’a pas expédié mes indices aux labos du bureau du médecin expert de l’armée à Dover.

— Ouais, tout, sauf le couteau lui-même, le couteau guêpe. Celui-là, on l’a pas retrouvé encore. Pour moi, il a dû s’en débarrasser après avoir poignardé le type, le balancer d’un pont, un truc dans ce genre-là. Pas étonnant qu’il ait pas tenu à ce qu’on envoie quelqu’un sur les lieux à Norton’s Woods, hein ?

Le regard injecté de sang de Marino passe alternativement de moi au reste de la pièce, distraitement, comme quelqu’un pour qui rien de ce qu’il voit ne constitue une surprise. Il est arrivé de nombreuses heures avant moi.

— Et ça ? dis-je en m’accroupissant devant la cheminée.

Il s’agit d’un foyer ouvert en vieilles briques réfractaires qui date probablement de la construction de la maison.

— Qu’est-ce qu’on a fait à propos de ça ?

J’enlève et pose par terre mon casque de protection, qui ne cesse de me tomber sur les yeux.

— C’est-à-dire ? demande Marino en me détaillant sans bouger.

J’avance mon doigt ganté en direction des cendres blanchâtres. Légères telles des plumes, elles frissonnent et se soulèvent au rythme des mouvements de l’air. On dirait que je les ai déplacées par la pensée. Je réfléchis au meilleur moyen de préserver ce que j’ai sous les yeux. Les cendres sont beaucoup trop fragiles pour être collectées dans leur totalité. Je suis presque certaine de comprendre ce qui s’est passé dans cette cheminée, au moins en partie. J’ai déjà vu ce genre de cendres, il y a de cela pas mal de temps déjà, au moins dix ans. Aujourd’hui, lorsqu’on brûle des documents, il s’agit le plus souvent d’impressions sur du papier photocopie bon marché, contenant une grande quantité de pulpe de bois qui ne se consume pas complètement, avec pour résultat beaucoup de cendres charbonneuses. Le papier renfermant une forte proportion de coton se consume de façon différente. La lettre dont Erica Donahue prétend qu’elle ne l’a jamais écrite me vient immédiatement à l’esprit.

Je déclare à Marino :

— Je suggère que nous couvrions le foyer afin de ne pas disperser les cendres. Il faut les photographier in situ avant. Procédons ainsi, puis nous les récupérerons dans des pots pour le labo d’études des documents.

Ses grosses bottes se rapprochent et il lâche :

— Pour quoi faire ?

En réalité, il veut savoir pourquoi je me comporte comme un enquêteur de scène de crime. Si je devais lui répondre, ce que je ne ferai pas, je lui dirais qu’il faut bien que quelqu’un s’y colle.

— Agissons suivant le protocole, comme nous savons le faire et l’avons toujours fait.

Je croise son regard morne. Rien n’est fini, tel est le message que je lui transmets. Je me fiche pas mal des certitudes des autres. Cette affaire n’est pas terminée.

— Voyons ce que vous avez là, dit-il en s’accroupissant à côté de moi.

Nos combinaisons en plastique chuintent à chaque mouvement et leur légère odeur m’évoque un rideau de douche neuf.

Je pointe l’index et les cendres frémissent de nouveau.

— Des caractères tapés à la machine.

— Si vous arrivez à lire un truc qui a été cramé, vous êtes voyante et vous devriez vous dégoter un boulot dans une des boutiques de magie du coin !

— C’est en partie déchiffrable. Un papier coûteux brûle proprement, devient blanc, et on peut distinguer les caractères encrés tapés par une machine à écrire. Marino, ce n’est pas la première fois que nous tombons sur cela, même si ça ne remonte pas à hier. Regardez ! (Je pointe de nouveau le doigt, dérangeant les cendres par mon mouvement.) On peut apercevoir la gravure de l’en-tête, en tout cas un fragment. Boston et une partie du code postal. Identique à celui de la lettre que j’ai reçue de Mme Donahue, celle dont elle maintient ne pas l’avoir écrite, d’autant que sa machine à écrire a disparu.

— Y en a une dans la maison principale. Une verte, une vieille portative posée sur la table de la salle à manger, annonce-t-il en se levant et en pliant les jambes comme si ses genoux le faisaient souffrir.

— Une machine à écrire verte à côté ?

— J’pensais que Benton vous l’avait dit.

— Eh bien, en une heure il n’a pas dû avoir le temps de tout me raconter !

— Vous énervez pas, Doc. Sans doute qu’il pouvait pas. Vous verriez le merdier à côté ! Visiblement, quand Fielding est arrivé ici, il a pas vraiment emménagé. Y a des cartons partout, on dirait une foutue décharge.

— Je doute qu’il ait possédé une machine à écrire portative.

— À moins qu’il ait été en cheville avec le gamin Donahue. C’est la théorie qui explique d’où proviennent pas mal des merdes.

— Pas d’après sa mère. Johnny n’aimait pas Jack. Alors pourquoi Jack détiendrait-il la machine à écrire de Mme Donahue ?

— Si c’est bien la sienne. On le sait pas. Et puis y a les drogues – enfin, ces substances. Ça paraît évident que Johnny les absorbe depuis à peu près le moment où il a commencé à suivre les cours de taekwondo de Fielding. Un plus un égale deux, non ?

— Nous découvrirons ce qui peut ou non s’additionner. Du papier, à lettres ou autre, vous en avez trouvé ?

— Rien vu.

— À l’exception de ce qui a l’air de s’être consumé là-dedans.

Je lui rappelle que, selon toute vraisemblance, une partie ou peut-être l’intégralité du papier à lettres d’Erica Donahue a été réduit en cendres.

— Écoutez…, commence Marino sans achever sa phrase.

Inutile, je sais ce qu’il va me sortir. Il va me rappeler que je ne me suis jamais montrée raisonnable à l’égard de Fielding, et que lui, Marino, est bien placé pour le savoir en raison de notre histoire commune. Lui aussi se trouvait là à nos débuts, il se souvient de l’époque où Fielding était mon interne en médecine légale à Richmond, mon protégé et, si l’on en croit la rumeur, bien plus que cela dans l’esprit de certains.

Je désigne un rouleau de gros adhésif gris foncé abandonné sur l’établi.

— Ça se trouvait là ?

On peut comparer avec précision la déchirure du dernier morceau arraché du rouleau à l’extrémité d’un segment isolé.

— Ouais, d’accord, acquiesce-t-il en se baissant sur une mallette de scène de crime ouverte par terre pour en sortir un sac à indices. Bon, alors maintenant faut que vous m’expliquiez comment il aurait mis la main dessus et pourquoi.

Il fait allusion à Fielding. Comment Jack Fielding a-t-il récupéré la machine à écrire d’Erica Donahue ? Dans quel but aurait-il rédigé une lettre frauduleuse pour la faire remettre en mains propres par un chauffeur de location plus habitué aux bar-mitsvahs et aux mariages ? Johnny Donahue a-t-il donné à Fielding la machine et le papier à lettres ? Pourquoi ? À moins que Fielding n’ait simplement manipulé Johnny, ne l’ait attiré dans un piège.

— Peut-être une ultime tentative pour enfoncer le gamin, lâche alors Marino en répondant à sa propre question, exprimant à voix haute une hypothèse que je m’apprête à écarter après l’avoir considérée. Une bonne question pour Benton.

Mais Benton est parti je ne sais où. Il est au téléphone ou bien il s’entretient avec ses congénères du FBI, peut-être avec cette femme agent du nom de Douglas. Penser à elle me tracasse. J’espère être simplement paranoïaque, les nerfs à vif, et ne pas avoir raison de craindre que la nature de sa relation avec l’agent spécial Douglas dépasse le cadre professionnel. J’espère que le deuxième gobelet à café dans le SUV n’a pas servi à mon mari, qu’il ne consacrait pas tout son temps à cette femme lorsque j’étais à la base de Dover, après avoir fait la navette à Washington. Voilà que je ne suis plus simplement un catalyseur et un piètre mentor, mais aussi une mauvaise épouse. J’éprouve le sentiment d’un saccage, d’une fin. J’ai l’impression d’enquêter sur ma propre mort, comme si ma vie antérieure s’était évaporée pendant mon absence et que je tente de reconstituer ce qui m’a tuée.

— Voici ce que nous devons faire tout de suite, dis-je à Marino. Je suppose que personne n’a touché à la machine à écrire ? Il s’agit bien d’une Olivetti ?

— On a été pas mal occupés ici, me rétorque-t-il, sous-entendant que la police avait autre chose à faire que s’occuper d’une vieille machine à écrire. On a trouvé le chien là-bas, je vous l’ai dit. Une chambre que Fielding semblait utiliser, et on voit bien qu’il y séjournait de temps en temps, mais c’est ici que ça se passait, explique-t-il en indiquant la dépendance dans laquelle nous sommes. La machine à écrire est dans une valise sur la table de la salle à manger. Je l’ai ouverte pour voir ce qu’il y avait dedans, rien de plus.

— Avant de l’emballer et de l’expédier aux labos, effectuez des prélèvements ADN sur les touches. Et je veux que ces prélèvements partent lors du prochain passage du van. Ces analyses doivent être pratiquées en urgence. Elles pourraient pointer vers l’auteur de cette lettre.

— Je crois bien qu’on le connaît, non ?

— Ensuite, la machine sera transmise au labo des documents, pour comparer la police avec celle de la lettre, une police cursive. Nous analyserons le ruban adhésif de l’enveloppe pour vérifier s’il provient du rouleau posé sur l’établi et quelles sortes de traces s’y trouvent, ADN, empreintes, n’importe quoi. Ne soyez pas surpris si ces éléments nous orientent vers les Donahue, je veux dire l’ADN et les empreintes digitales.

— Pourquoi ?

— Faire accuser leur fils.

— J’croyais pas Jack aussi malin.

— Ai-je mentionné Jack ? Je n’ai porté d’accusation ou émis de jugement sur personne, je rectifie d’un ton impassible. Nous disposons de son profil ADN et de ses empreintes à des fins d’exclusion, ainsi que de toutes les nôtres. Nous devrions donc parvenir à une certitude à son sujet. Et si nous trouvons de l’ADN provenant d’une autre source, ce qui serait logique, nous les passons immédiatement dans CODIS, la banque de données des profils ADN.

— OK, si c’est ce que vous voulez.

— Bon, Marino. Nous savons où se trouve Jack, mais si jamais une tierce personne est mêlée à tout cela, y compris les Donahue, nous n’avons pas de temps à perdre.

— OK, Doc.

Je lis dans ses pensées : Nous sommes dans la maison de Jack Fielding, c’est son cottage de la Mort, sa Petite Boutique des horreurs. Pourquoi s’embêter davantage ? Il est convaincu que je suis en déni de réalité, que je conserve l’espoir ténu et irrationnel que Fielding n’a tué personne. Que quelqu’un d’autre, qui s’est servi de sa maison et de ses affaires, est responsable de tout cela. Que Fielding est une victime, et non l’abominable monstre que tout le monde croit.

D’un ton patient et mesuré, je rappelle à Marino :

— Qui nous dit que sa famille n’est pas venue ici ? Sa femme, ses deux petites filles. Nous ignorons qui s’est trouvé dans la maison et a pu toucher des objets.

— Elles seraient parties de Chicago pour vivre dans ce taudis ?

— Quand ont-elles quitté Concord ?

Sa famille s’était installée dans la région avec lui, dans une maison en location que je l’avais aidé à trouver.

— À l’automne dernier. Et ça colle avec le reste, insiste Marino, qui se lance encore dans des suppositions. Le footballeur, ce qui s’est passé après que la famille de Fielding est repartie pour Chicago et qu’il a emménagé ici, pour vivre comme un clodo tout en se lançant dans le bricolage. Il aurait au moins pu vous envoyer un foutu e-mail, vous informer que sa vie personnelle marchait pas trop fort. Que sa femme et ses enfants avaient repris leurs cliques et leurs claques peu de temps après que le Centre a commencé à fonctionner vraiment.

— Il ne m’en a rien dit. Je le regrette.

— Ouais, eh ben, me balancez pas que j’aurais dû vous mettre au parfum, remarque-t-il en scellant le rouleau d’adhésif dans un sac à indices. C’était pas mes affaires. J’allais pas démarrer ma nouvelle carrière ici en caftant sur le personnel, en vous racontant que Fielding était toujours le même sac à emmerdes, et que, bordel, vous auriez dû vous y attendre quand vous avez eu la brillante idée de le reprendre !

— J’aurais dû m’attendre à ça ? dis-je en soutenant le regard plein de ressentiment de Marino.

— Mettez votre casque avant de descendre. Y a plein de merdes suspendues au plafond, toutes ces foutues lampes, on se croirait à Noël. Je dois retourner au fourgon et je sais que vous avez besoin d’une petite minute.

J’ajuste la coiffe intérieure de mon casque de protection, resserrant le tour de tête. Je doute que la décision de Marino de ne pas m’accompagner à la cave soit une preuve de délicatesse, afin par exemple de me permettre d’affronter ce qui se trouve en bas sans l’avoir sur le dos. Peut-être s’en est-il lui-même persuadé. Cependant, alors que ses bottes plongent et barbotent dans les bacs de décontamination, j’imagine à quel point cette scène de crime doit lui être pénible. Pour une raison qui n’a que peu de rapport avec des fluides corporels décongelés, ou même sa paranoïa au sujet de l’hépatite, du sida ou d’autres virus, mais tout à voir avec la façon dont ces fluides ont atterri ici. Les ablutions de Marino dans les bacs emplis de détergent sont une tentative afin de se purger de la culpabilité qu’il ressent, je le sais.

Marino ne s’est jamais aperçu des manigances de Fielding, c’est bien tout le problème. Il s’est convaincu qu’il aurait dû s’en rendre compte. Pourtant, ainsi que je l’ai expliqué à Benton dans la voiture, puis à Marino au téléphone, un prélèvement de sperme ressemble un peu à une vasectomie, à ceci près que la procédure devient encore plus rapide et simple lorsqu’elle concerne un cadavre, pour des raisons évidentes. L’anesthésie locale est superflue et le médecin n’a guère à se préoccuper des sentiments, des états d’âme ou d’un changement d’avis du patient.

Fielding n’a eu qu’à pratiquer une petite incision sur un côté du scrotum et plonger une seringue dans le canal déférent pour extraire du sperme, l’affaire de quelques minutes. Il s’y prenait probablement avant l’autopsie, se rendant dans la chambre froide quand celle-ci était déserte. Certes, il lui fallait s’assurer un accès au corps le plus vite possible après le décès. Rétrospectivement, voilà peut-être pourquoi il a remarqué avant tout le monde l’hémorragie de l’homme de Norton’s Woods. Lorsqu’il est arrivé tôt lundi matin au bureau, sa première urgence consistait à réaliser un prélèvement post mortem de sperme, et il a vu le sang accumulé sur le plateau, sous la housse à cadavre. Il a foncé dans le couloir afin de prévenir Anne et Ollie.

La seule personne qui aurait éventuellement pu repérer ces agissements pendant les six mois où je me trouvais à Dover, c’est Anne, ai-je assuré à Marino. Or elle n’a jamais vu ce que fabriquait Fielding, n’a jamais eu le moindre soupçon. D’après ce que nous avons retrouvé dans un congélateur de la cave et ce qui était réduit en mille morceaux par terre, nous savons qu’il a prélevé du sperme sur une centaine, au moins, de patients. Une somme potentielle d’environ cent mille dollars, peut-être beaucoup plus, selon les tarifs qu’il pratiquait. Prenait-il en compte ce que la famille ou les personnes intéressées étaient capables d’investir, avec une sorte d’échelle d’honoraires, si je puis dire ? De l’or liquide. C’est ainsi que les flics ont baptisé ce que Fielding vendait au marché noir, grâce au trafic qu’il avait mis sur pied. Je m’interroge sur le choix d’Eli comme involontaire donneur. Si tant est que telle ait bien été l’intention de Fielding, ce que nous ne saurons jamais.

Cependant, lorsque Fielding a pénétré dans la chambre froide hier matin, un seul cadavre masculin jeune, assez récent pour devenir un candidat valable à l’extraction de sperme, était disponible : Eli Goldman. La deuxième victime étant âgée, l’achat de son sperme ne présentait guère d’intérêt. Quant à la troisième, il s’agissait d’une femme. Si Fielding avait assassiné Eli avec le couteau à injection, aurait-il ensuite été assez téméraire et imprudent pour prélever le sperme du jeune homme ? Et à qui comptait-il le vendre sans se compromettre personnellement ? Une tentative de cette sorte aurait signé l’homicide.

L’idée que Fielding ignorait qui était le jeune homme non identifié lorsqu’on l’a averti du décès dimanche après-midi continue de me titiller. Fielding n’a pas pris la peine de se rendre sur les lieux à ce moment-là, se désintéressant totalement de l’affaire. Je continue de soupçonner qu’il ne savait rien jusqu’au moment où il est entré dans la chambre froide. C’est seulement alors qu’il a reconnu Eli Goldman. Il existait entre eux un lien. Peut-être les drogues, raison pour laquelle Eli détenait une des armes de Fielding. Celui-ci avait peut-être donné ou vendu le Glock à la victime. Des substances illicites, un pistolet ou autre chose encore. Si seulement j’avais pu habiter les pensées de Fielding lorsqu’il a pénétré dans la chambre froide hier matin !

 

 

J’écarte une baladeuse qui menace de heurter mon casque tandis que je descends les marches de pierre.

Une sueur froide dégouline de mes flancs sous mon encombrante combinaison jaune. Je m’inquiète de ma confrontation imminente avec Briggs et d’un lévrier du nom de Sock. Je tourne et retourne ces angoisses dans mon esprit, tout pour éviter de penser à ce que je suis sur le point de découvrir. J’ai beau me plaindre de Marino, il a pris la bonne décision : c’est mieux ainsi. Je n’aurais pas voulu que le corps de Fielding soit transporté au Centre de sciences légales. J’aurais détesté le voir dans une housse à cadavre, sur un chariot de métal ou une table d’autopsie. Marino me connaît assez pour savoir que j’aurais exigé d’être face au corps de Fielding avant qu’on l’emporte, si on m’en avait donné le choix. Je dois m’assurer que la réalité correspond aux apparences, que mes observations sont identiques à celles de Briggs, qui m’a précédée ici de quelques heures. Je dois vérifier que le général et moi partageons une opinion identique quant aux causes et aux circonstances de la mort de Fielding.

La cave, dépourvue d’ouvertures, au plafond de pierre voûté, est entièrement peinte en blanc. L’espace est trop réduit pour le nombre de gens qui y évoluent, tous revêtus comme moi de combinaisons jaune vif, de gros gants noirs, de bottes en caoutchouc vertes et de casques de sécurité jaunes. Certains portent des écrans faciaux, d’autres des masques de chirurgie. Je reconnais trois de mes chercheurs du laboratoire ADN, qui prélèvent des échantillons sur une partie du sol en pierre jonché d’éclats de tubes en verre et de leurs bouchons de plastique noir. À proximité se trouve le radiateur d’appoint mentionné par Marino, et un congélateur cryogénique vertical en acier inoxydable, d’une marque et d’un modèle identiques à ceux que nous utilisons dans les labos lorsque nous avons besoin de conserver des échantillons biologiques à des températures extrêmement basses.

La porte du congélateur est grande ouverte. Les étagères intérieures sont vides : quelqu’un, sans doute Fielding, a ôté tous les échantillons et les a fracassés par terre, avant de mettre en marche le radiateur d’appoint. Je remarque que des fragments d’étiquettes adhèrent encore à des morceaux de verre sur un sol par ailleurs propre. Les murs de la cave ont été blanchis à l’aide d’un produit mat, une sorte d’apprêt, comme si on avait transformé une cave à vin en laboratoire, avec un évier et une paillasse en acier, des racks pour tubes à essai et de grandes bonbonnes en acier d’azote liquide. Au centre de la pièce se dresse une longue table de métal que Fielding utilisait probablement pour procéder aux envois, ainsi que plusieurs chaises. L’une d’entre elles est un peu écartée de la table, comme si quelqu’un s’était assis dessus. Je regarde la chaise en premier lieu, puis cherche des traces de sang, sans en distinguer aucune.

Sur la table recouverte de papier de boucherie sont disposés des paires de gants bleu vif résistants au froid, qui remontent jusqu’aux coudes, des ampoules, des socles à roulettes pour bonbonnes, des stylos antimaculage, de longs bouchons et réglettes pour canisters de stockage, et au-dessous sont entreposées des boîtes en carton bon marché appelées CryoCubes, que nous utilisons habituellement pour expédier des échantillons biologiques placés dans un récipient en aluminium, où ils peuvent demeurer congelés à moins cent cinquante degrés centigrades durant cinq jours. Ces emballages spéciaux sont adaptés à l’expédition de sperme congelé et prisés par les éleveurs, qui les baptisent souvent « réservoirs à sperme ».

Je suppose que l’équipement et les consommables utilisés par Fielding pour son petit trafic clandestin scandaleux ont été dérobés au Centre de sciences légales. Au cœur de la nuit, en dehors des heures de bureau, il s’est débrouillé pour sortir furtivement des labos ce dont il avait besoin, sans un battement de cils de la part du service de sécurité. À moins qu’il n’ait tout commandé, le facturant au Centre mais le faisant directement livrer ici, à la maison du capitaine. Alors même que je bâtis des suppositions, il repose si près de moi que je pourrais le toucher, sous un drap bleu jetable, sur son sol blanc propre. Le papier plastifié est souillé de sang à un bout, une tache provenant d’une large flaque répandue sous sa tête, d’après ce que j’en sais. De là où je me tiens, je vois que le sang a coagulé. Le processus de décomposition n’en est qu’aux premiers stades, sensiblement ralenti en raison de la température ambiante. Elle est aussi glaciale que dans notre chambre froide et de la buée s’échappe de nos bouches.

Le flash d’un appareil photo crépite à plusieurs reprises, tandis qu’une silhouette en jaune à la large carrure photographie la seule zone du mur blanchi qui soit noircie et sale. Un tachéomètre, une station totale robotique, a été installé sur son tripode jaune vif, et je suppose que le système de mesure électro-optique des distances a déjà procédé à tous les relevés de la pièce, enregistrant les coordonnées de chaque élément, y compris ce que photographie le colonel Pruitt. Il surprend mon regard sur lui et baisse l’appareil, pendant que je me dirige vers le mur. L’odeur de la mort m’environne, la puanteur âcre et moisie du sang dégradé et sec depuis des mois dans un milieu froid et privé de lumière. Je sens la moisissure, la poussière, et je remarque des bouts de moquette sale déchirée et du contre-plaqué en tas contre un autre mur. Les traces de terre et de poussière sur le sol blanc indiquent que le monticule a été récemment traîné à ce nouvel endroit.

À hauteur de ma tête est chevillée dans la pierre une série de manilles d’ancrage en acier, que j’associe à des assemblages de supports de levage. La présence de rouleaux de corde, de pinces, de pistolets à graisse, d’un chariot, de crochets à chape et d’anneaux de levage tournants me laisse à penser que Fielding avait mis au point un ingénieux système afin de remplacer les lourdes bonbonnes d’azote liquide. À un moment donné ce système a été détourné pour une autre utilisation, à laquelle il n’avait probablement pas pensé lorsqu’il avait entamé son trafic de sperme.

Sans même m’adresser un bonjour, comme si notre rencontre ici était normale, dans la parfaite continuité de notre travail à Dover, Pruitt m’annonce :

— D’après ce que j’ai réussi à en déduire pour l’instant, le merlin constitue le principal objet utilisé, qui explique à la fois les entailles et les enfoncements constatés sur les blessures. Une sorte de cognée à long manche terminée d’un fer, carré d’un côté et aiguisé comme une hache de l’autre. L’outil se trouvait sous la moquette et le bois, en plus d’un blouson teddy du Boston College, d’une paire de sneakers et d’autres articles vestimentaires dont nous pensons qu’ils appartiennent à Wally Jamison. Tout ça avait été fourré sous ces trucs là-bas, précise-t-il en indiquant la moquette et le bois déplacé, dont je présume qu’ils ont servi à dissimuler la scène du crime. Le tout, y compris le merlin, bien entendu, a déjà été emballé et expédié chez vous. Vous avez vu l’arme ? me demande-t-il en secouant la tête.

— Non.

— Quelqu’un me tomberait dessus avec un truc comme ça, Seigneur, je n’arrive même pas à l’imaginer ! Et des morceaux de corde ensanglantés… à force d’avoir été suspendu…, souligne-t-il en me désignant les anneaux et les chaînes scellés dans la pierre que le sang séché a recouverte d’une sorte de croûte noirâtre.

J’ai presque la sensation que l’odeur de la peur envahit mes narines, l’inimaginable terreur du footballeur torturé et assassiné à Halloween.

— Pourquoi n’a-t-il pas nettoyé ?

Je pose la première question qui me vienne à l’esprit à la vue de cette scène de crime qui semble être demeurée intacte après l’assassinat sadique et brutal de Wally Jamison.

— Je suppose qu’il a choisi la solution de facilité et s’est contenté de tout recouvrir avec la moquette et le contre-plaqué, répond Pruitt. Voilà pourquoi il y a des fibres et de la poussière partout. Il semble qu’il n’ait pas pris la peine de laver quoi que ce soit, il a juste balancé de la vieille moquette par-dessus et appuyé toutes ces planches contre le mur, dit-il en pointant de nouveau les morceaux de moquette de couleurs différentes et les larges plaques de contre-plaqué empilés sur le sol blanc, près d’une porte fermée qui mène à l’extérieur de la cave.

J’insiste :

— J’ai du mal à comprendre pourquoi il n’aurait pas nettoyé. Cela remonte à trois mois. Il a abandonné une scène de crime quasiment intacte ? En se contentant de jeter dessus de la moquette et des planches ?

— Une des hypothèses, c’est qu’il prenait son pied. Certains criminels photographient ou filment leurs actes pour continuer à en jouir après. À chaque fois qu’il descendait ici, il savait ce qui se trouvait dissimulé là-dessous, il adorait ça.

Ou bien quelqu’un d’autre adorait ça. Jack Fielding n’a jamais été amateur de gore et, pour un médecin légiste, il se montrait plutôt impressionnable. Benton affirmera qu’il faut y voir l’influence de ses produits dopants. Tout le monde approuve probablement, et peut-être est-ce vrai. L’état de Fielding s’était profondément altéré. De cela je ne doute pas.

— Vous savez, on peut vous aider, me dit alors Pruitt.

Il me dévisage à travers un écran facial en plastique qui s’embue par intermittence sous son souffle, son regard noisette vif, amical, mais pourtant inquiet. Comment pourrait-il en être autrement ? Je me demande s’il éprouve la même chose que moi, s’il ressent au plus profond de lui que quelque chose ne cadre pas dans cette histoire. Se pose-t-il la même question que moi en contemplant le mur noirci de sang séché aux chaînes rouillées scellées dans la pierre ?

Pourquoi Jack Fielding irait-il faire une chose pareille ?

Les prélèvements de sperme vendus à des familles dans le chagrin, voilà qui est du domaine du compréhensible. On peut l’attribuer à la cupidité, ou même au désir de gratification, la griserie du pouvoir, rendre d’une certaine façon la vie qui avait été fauchée. Toutefois je me souviens que lorsque j’avais étudié les clichés, les enregistrements vidéo et les CT scans du corps mutilé de Wally Jamison, l’idée que son meurtre obéissait à des composantes sexuelles et émotionnelles m’avait effleurée. La personne qui avait manié l’arme éprouvait des sentiments pour lui. À tout le moins, une rage qui n’avait trouvé l’apaisement que dans les lacérations, les entailles, les coupures et les contusions de Wally, saigné à mort, rendu méconnaissable par les coups. Son corps nu avait ensuite été transporté, probablement par bateau, sans doute celui de Fielding, puis jeté dans le port devant le poste des gardes-côtes. Un acte que Benton a qualifié de culotté, de provocation vis-à-vis des forces de l’ordre. Ce qui ne ressemble pas non plus à Fielding. Pour un féroce grand maître bodybuildé, Fielding se montrait plutôt lâche.

— Merci. Voyons ce dont nous avons besoin, dis-je à Pruitt.

— Eh bien, en ce qui concerne l’ADN, vous le savez. Nous avons déjà des centaines de prélèvements, pas seulement le sperme, qui doit être à chaque fois apparié avec le donneur correspondant, mais à peu près tout ici a été récolté.

— Je sais. C’est un travail énorme et qui va se poursuivre un moment, car nous ignorons ce qui s’est déroulé entre ces murs. Nous n’en connaissons qu’une partie. Ce qui se trouvait dans le congélateur, et tout ce qui a pu être commis. En plus du meurtre de Wally Jamison, probablement.

À l’énoncé de son nom, je revois la mâchoire carrée, les cheveux noirs frisés, les yeux bleu clair, la belle carrure de sportif. Et ce à quoi il ressemblait après.

— À quelle heure êtes-vous arrivé ?

— Il y a environ sept heures. John et moi avons débarqué tôt.

Je ne lui demande pas où se trouve Briggs.

— Il a procédé à l’examen externe et passera en revue tous ces détails avec vous quand vous serez prête, ajoute Pruitt.

— Et avant, personne n’avait touché au corps ?

Fielding avait été découvert peu après trois heures du matin, à ce qu’on m’a révélé.

— Lorsque je suis arrivé avec John, le corps était recouvert de la même façon, me précise Pruitt, corroborant ce que m’a appris Benton. Le Glock n’est pas là. Une fois que le FBI a récupéré le numéro de série, l’arme a été enveloppée et expédiée à vos labos.

— Je n’ai été mise au courant que très récemment, en venant ici.

— Écoutez, si j’avais été présent à trois heures du matin et si on m’avait demandé mon avis ?…

Pruitt sous-entend qu’il m’aurait immédiatement appris tout ce qui se passait. Il poursuit :

— Mais le FBI voulait garder l’affaire sous le boisseau, parce que personne n’était sûr que Fielding ait agi absolument seul. Et puis à cause de tous les autres éléments, le Dr Saltz, le député anglais, etc. La crainte du terrorisme.

— Oui. Toutefois pas le genre de terrorisme auquel est en général confronté le FBI. Nous avons affaire ici à une sorte de terrorisme « personnel ». Vous ne croyez pas ? Qu’en pensez-vous ?

Pruitt ne tient pas à me faire part de son avis et répond à côté :

— Lorsque la police et le FBI ont trouvé le corps, personne n’y avait touché. Je sais qu’à ce moment-là il était à température ambiante. Il reposait là depuis un bout de temps. Vous devriez en parler avec John.

— Vous voulez dire qu’à trois heures du matin le cadavre de Fielding était à la même température que cette cave ?

— Il fait un peu moins de cinq degrés. Peut-être quelques degrés supplémentaires maintenant, avec toute cette agitation. Mais John va vous donner les détails.

Pruitt fixe la forme humaine qui repose sous un drap bleu de l’autre côté de la cave, près du congélateur, les prélèvements biologiques en voie de décongélation sur le sol de pierre. Équipés de genouillères, les enquêteurs ramassent un à un les éclats de verre, collectent des échantillons, les emballant séparément dans des enveloppes en papier qu’ils étiquettent à l’aide de marqueurs permanents. Je ne m’avancerai pas tant que je n’aurai pas examiné le corps, mais ce que je viens d’entendre ajoute à mes soupçons. Quelque chose ne va pas.

2011-Havre des Morts
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